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Sûtra des dix rois de l’enfer

Sûtra des dix rois de l’enfer
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Le Sûtra des dix rois, absent du Canon bouddhique, connut un retentissement important en Chine.

L’iconographie du Sûtra des dix rois avait d’abord été conçue pour illustrer une série de rituels décrits dans un sûtra apocryphe des paroles du Bouddha sur la prophétie des quatre ordres au roi Yama, à l’occasion des sept fêtes préparatoires à la renaissance dans la Terre pure. Selon ce rituel, les fidèles étaient invités à faire de leur vivant des offrandes bimensuelles aux rois des enfers et, après le décès d’un proche, une tous les sept jours à chacun des sept premiers souverains, puis au huitième cent jours plus tard, au neuvième lors du premier anniversaire du décès et au dixième pour le jour du troisième anniversaire ; après sa mort et jusqu’à sa renaissance, l’âme du trépassé errait dans un monde souterrain et comparaissait devant dix cours de justice successives ; le jugement final était prononcé au terme de ces trois années ; entre-temps, de multiples tortures menaçaient les âmes pécheresses qui se mouvaient dans un purgatoire de souffrance. En fonction du verdict définitif, l’âme pouvait renaître ou être libérée.

Le rouleau illustre ce parcours du défunt aux enfers. L’iconographie du Sûtra des dix rois donne à connaître la conception que l’on se faisait du monde de l’au-delà, à partir du milieu du 8e ou du début du 9e siècle. Calquée sur la bureaucratie impériale imposée aux vivants, une autre, parallèle, structurait le monde des morts ; cet univers souterrain était quadrillé par des fonctionnaires qui tenaient des registres de tous les événements de la vie et de la mort ; les tribunaux, présidés chacun par un magistrat suprême, un des dix rois, aidé de clercs aux mines sévères, administraient la justice implacable de la loi du karma.

Adoptée par les bouddhistes, la piété filiale, prônée par les confucéens qui en faisaient l’une des vertus cardinales, devait s’exercer envers les parents de leur vivant et se poursuivre après leur disparition ; les âmes pouvaient être, sinon sauvées, du moins soulagées par le comportement approprié de leurs proches ; il était demandé à ceux-ci de se conformer aux prescriptions rituelles mais plus encore de fournir des cadeaux à chacun des dix souverains infernaux. Le texte même du Sûtra des dix rois est très explicite : si les parents du défunt envoyaient des offrandes, celui-ci se réincarnerait dans un être plus noble ou renaîtrait dans les terres bienheureuses, malgré les péchés commis. Mais à l’inverse, ne pas verser de contribution impliquait qu’aucune rémission ne viendrait adoucir le sort qui attendait le misérable. Ce principe est renforcé visuellement sur le rouleau qui dépeint, au premier plan de plusieurs scènes, les âmes pécheresses qui, par surcroît, sont abandonnées de leur parentèle. Les fidèles ayant mené une existence exemplaire, ou qui sont secourus par les vivants, semblent, quant à eux, se déplacer allègrement.

Pour rendre un culte convenable aux morts, il fallait participer régulièrement aux cérémonies rituelles, et apporter sa contribution d’offrandes sous de multiples formes telles que la copie de sûtras, en particulier celle du Sûtra des dix rois, les dons monétaires en espèces ou en rouleaux d’étoffe, la reproduction d’images saintes. Les nombreux exemplaires de ce texte non canonique témoignent du respect de cette prescription funéraire en matière de copies d’offrande.

Plus qu’aucune autre doctrine, le bouddhisme a su capter l’attention des individus désemparés, canaliser leurs angoisses, les captiver par l’image, leur offrir l’espoir du salut. Ce rouleau est d’autant plus intéressant que seules y figurent les illustrations, nécessairement accompagnées d’un commentaire oral laissé à la discrétion du moine qui le déroulait devant la famille du défunt. Par leur format, les rouleaux à peinture permettaient aux moines ou aux conteurs de se déplacer auprès d’un public qui ne fréquentait pas obligatoirement les sanctuaires bouddhiques et de diffuser des enseignements religieux auprès de populations peu instruites. Chaque feuillet de ce rouleau présenté au public illustre une scène qui mesure 43 centimètres.

Cette image (à lire de droite à gauche) est particulièrement explicite sur les mérites accordés aux copies qui constituent la voie de salut par excellence. L'un des rouleaux est suspendu à la balance devant le juge qui s'apprête, pinceau levé, à inscrire le jugement ; on remarque encore, au premier plan à l'extrême gauche, un homme et une femme de bien, l'un portant une statuette sainte, l'autre un faisceau de rouleaux dans leur enveloppe.

Le dernier feuillet de ce document incomplet qui ne compte que les cinq premières cours de justice, montre le passage devant le roi Yama (Yanluo wang), coiffé du chapeau impérial à pendants, dont le tribunal est le plus rigoureux de tous. Contrebalançant le pouvoir de ce justicier implacable, le Bouddha est figuré, à gauche, laissant ouverte la possibilité de la délivrance ; le jugement sanctionne le fait de tuer les animaux pour les manger, assimilé à de la cruauté envers ceux-ci ; plusieurs d'entre eux viennent se présenter comme les victimes d'atrocités, tandis que le large miroir du karma reflète une scène de boucherie.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    10e siècle
  • Lieu
    Dunhuang (Chine)
  • Description technique
    Rouleau, incomplet, de 7 feuilles de papier chamois clair, manuscrit à peinture entièrement illustré, 30 x 300,3 cm
  • Provenance

    BnF, département des Manuscrits, Pelliot chinois 4523

  • Lien permanent
    ark:/12148/mmcv2xgkpt0qm